Reshape, la céramique de la seconde chance

Quel est le point commun entre une personne en prison ou tout juste sortie et une collection de céramique aux lignes délicates ? Pas évident à première vue mais poursuivez votre lecture : la réponse apparaîtra entre les lignes.

Commençons par la céramique, ce savoir-faire artisanal ancré dans la tradition portugaise. Aujourd’hui, nombreux sont les ateliers traditionnels et les nouveaux artisans qui y consacrent leur vie. Au milieu de cette offre pléthorique de céramistes nouvelle génération qui conjuguent savoir-faire traditionnel et lignes contemporaines, un projet m’a particulièrement intriguée. Son nom : Reshape Ceramics. Lignes épurées, tons neutres, légers. Jusque-là, de belles céramiques, oui, mais ce n’est pas ce qui manque au Portugal… En creusant, j’ai découvert autre chose : un projet incarné, qui voit des détenus et ex-détenus mettre les mains dans la terre.

J’ai rencontré la porte-parole de Reshape Ceramics, Inês Tavares, afin de connaître l’histoire de cette petite entreprise vertueuse.

Comment décrirais-tu Reshape en quelques mots ?

On a pensé à appeler ce projet “Reshape” pour son double sens. On veut que les détenus et ex-détenus se réinventent en modelant des matériaux bruts, en les transformant de leurs mains. Et par cette transformation, que s’opère une transformation en eux-mêmes. La céramique est presque une métaphore du changement que l’on veut créer.

Qui est à l’origine du projet ?

Il a été développé par APAC Portugal, une organisation à but non lucratif qui s’investit dans la lutte contre la récidive criminelle et en faveur de la réintégration des anciens prisonniers. Il a débuté en 2019 quand l’APAC, lors d’une visite de la prison de Caixas, a découvert entre ses murs un atelier de céramique entièrement équipé. A l’époque, l’APAC essayait de convaincre les entreprises privées d’employer des détenus encore en prison, en utilisant leurs infrastructures. Face aux difficultés rencontrées, l’APAC a décidé de montrer l’exemple en créant elle-même un business sur ce modèle. C’est comme ça qu’est né Reshape, et la production a commencé en octobre 2020 au sein de l’atelier de la prison de Caxias. Aujourd’hui nous avons aussi un atelier de céramique à Lisbonne, pour accueillir les ex-détenus devenus céramistes.

Quel rôle joue la céramique dans le processus de réinsertion des détenus et ex-détenus ?

D’une part, la céramique est réellement une pratique que l’on apprend en faisant des essais et des erreurs ! Il y a tellement de facteurs externes que parfois, même sans faire d’erreurs dans le processus, la pièce n’est pas réussie. La céramique demande de la patience, de la résilience et une faculté à ne pas se laisser abattre lorsque l’on commet une erreur. L’important est justement de trouver où elle est et de ne pas la reproduire. Ensuite, la céramique est un exercice délicat et fondé sur la répétition. Elle encourage les participants à créer une certaine routine autour des gestes, dans le calme et la concentration. Enfin, nos participants travaillent le plus souvent en groupes, dans l’atelier de la prison de Caixas ou dans celui de Lisbonne, pour les ex-détenus. L’un façonne, l’autre émaille. Si vous travaillez la céramique main dans la main avec quelqu’un d’autre, vous apprenez à reconnaître que vos actions ont un impact sur le travail de l’autre. A l’APAC, nous pensons que les changements nécessaires pour améliorer le milieu carcéral dépendent de chacun… et le processus de création de nos pièces suit la même logique. Enfin, le produit fini est une création belle, utile : chaque apprenti céramiste peut voir ses efforts transformés en un objet qu’il aime et que les autres aimeront. Rien de tel pour développer la confiance en soi et un sentiment d’appartenance.

Comment vois-tu l’avenir de Reshape ?

Il est incertain, d’autant plus lorsque l’on est une start-up sociale intégrée à une organisation à but non lucratif. Pour l’instant, nos ventes ne sont pas suffisantes pour couvrir nos coûts mensuels car, contrairement à la plupart des business à vocation sociale intégrées à des ONG, nous payons des salaires, le matériel et l'électricité de l’atelier que l’on a développé ici à Lisbonne. On doit encore lever des fonds. Mais à l’avenir, on aimerait voir Reshape exister en tant que projet financièrement autonome et dont les bénéfices seraient réinjectés directement dans le projet lui-même ou dans les autres projets de l’APAC, notamment les fonctions support de la réinsertion : accompagnement psychologique, financier etc...

Précédent
Précédent

Bon appétit, les Alpes

Suivant
Suivant

Lettre à/de Naples rugissante