Accepter d’être expatrié, qu’est-ce-que ça veut dire ? Je l’ai compris à Lisbonne le jour où, en sortie de confinement, avec des sanglots d’enfants dans la voix, j’ai laissé échapper à une presque inconnue qui n’avait rien demandé (en l'occurrence, ma prof de yoga) : “Je n’ai pas d’ami ici”. J’avais sans le vouloir décidé que mon égo n’était pas si important, que l’honnêteté avait plus de chances de me sortir de ce bourbier. Et puis j’ai réfléchi à la vulnérabilité, cette sensation désagréable, diffuse, à laquelle chacun est un jour exposé. J’ai réalisé que le meilleur moyen de ne pas avoir l’air de vouloir prendre le moins de place possible dans une pièce pleine d’inconnus, ou a fortiori une ville, un pays, c’était encore de l’assumer, cette vulnérabilité. Alors bien sûr, sortir du pré carré de la vie qu’on s’est sagement construit pendant des années et s’installer ailleurs, c’est excitant. Voir arriver le week-end sans personne à qui proposer un apéro le samedi soir, moins. Il n’y a pourtant rien de plus normal pour un expatrié. Vous arrivez en terre inconnue, en tout cas sans ami fixe. Après l’acceptation vient la solution… Accepter de dater de nouveaux amis. Oh je vous vois venir. C’est affreux, ça pique les yeux et je vous le donne en mille : c’est aussi inconfortable que nécessaire.
Avant d’y arriver, voyageons dans le temps. Quand on est à l’école, au collège, au lycée, la question de l’amitié ne se pose pas vraiment. Elle est naturelle, alimentée au quotidien, alimentée du quotidien. On se voit tous les jours, on passe les récrés ensemble, on partage les mêmes grands questionnements métaphysiques (elle note sévère la prof ? y’a quoi à la cantine aujourd’hui ? Tu vas à la boum ? A l’époque, boum se disait encore.) et, de petits mots laissés dans les agendas en assiettes de hachis parmentier douteux à la cantine, on devient amis. Et on sait qu’on va se voir tous les jours, qu’on grandira ensemble - avant la fin du lycée, on imagine parfois mal que l’amitié puisse s’arrêter un jour. En grandissant, on en perd déjà certains en route. Plus tard, quand les pauses café tiennent lieu de récré et les open-spaces de salle de classe, l’amitié se noue aussi sans question. Facile, elle est cadrée.
Mais revenons à notre nouvel arrivant, jeune expatrié plein de bonne volonté. Qu’a t’il comme possibilité de rencontrer des gens ? Il y a toujours le bureau, mais la barrière de la langue ou de la culture va probablement ralentir les choses. Et puis s’il n’est plus dans sa petite vingtaine, les collègues de son âge auront probablement déjà un cercle d’amis bien dessiné. Au mieux, le nouvel arrivant aura des amis d’amis qui ont déjà osé sauter le pas avant lui. Au pire, ce nouvel arrivant devra aller dans des événements d’expatriés où il ne connaît strictement personne, tout en essayant vaguement d’être la version la plus cool de lui-même, celle qui lui vaudra d’accéder au précieux sésame, les nouveaux amis. Dans les deux cas : bienvenue dans l’arène du friend dating, cet exercice périlleux qu’on aurait aimé ne jamais avoir à tenter. A titre personnel, je crois que si j’avais su, j’aurais préféré faire des squats. Et ceux qui me connaissent sauront que ce n’est pas peu dire. Un mot à lui adresser, à notre nouvel arrivant ? Bon courage. Ou “Boa sorte !”, en portugais.