Le goût du voyage

Si ma valise pouvait parler, elle dirait que je la confonds trop souvent avec le sac de Mary Poppins. Je suis persuadée que je peux y faire rentrer tout et n’importe quoi en évitant l’excès de bagage par magie. Paradoxalement, plus j’avance dans l’âge, plus je nourris le secret espoir de voyager avec l’élégance du personnage de Margherita Buy dans le film “Je voyage toute seule”.  En réalité, c’est tout à fait impossible. Il faudrait pour atteindre cet idéal renoncer à mon goût du voyage. C’est à cause de lui que l’on peut m’apercevoir à l’aéroport exhibant le profil gracieux d’un bonhomme Michelin relooké par un épouvantail, portant 3 pulls, 3 t-shirts, accumulant les couches et les poches remplies avant d’arriver à ma place dans l’avion. Tout ça pour libérer de l’espace dans la valise.

Comme si, en rapportant dans ma valise des choses à manger et à boire, j’emportais un peu du voyage, croquant dans ma mémoire, retrouvant par le goût la saveur d’un moment et la matière d’un souvenir. Je conseille toujours de rapporter des souvenirs qui se mangent et se boivent. Au-delà de donner à vos étagères une certaine allure, ils vous feront prendre la tangente en quelques bouchées, redonneront au quotidien le savoureux goût de l’ailleurs. Et ils disent tant de la culture de l’endroit dont vous revenez. Et, une bouchée en amenant une autre, tant de son identité.

Mon voyage à São Miguel, aux Açores, n'a pas fait exception à la règle. On voit des paysages merveilleux, on y vit quatre saisons en une journée et peu de mots réussissent à traduire l’âme troublée de l’île ou le sentiment de liberté qui vous envahit par vagues lorsque vous randonnez sur les cimes, entre les lacs et l’océan. Je ne peux vous recommander d’aller à São Miguel et de réserver de la place dans votre valise pour le retour. Dans la mienne, j’ai glissé un extraordinaire vin blanc produit avec les vignes volcaniques de Terceira, Magma, minéral, frappé d’embruns, un fromage que l’on ne produit que dans une seule ferme de Miraflores, la plus petite île des Açores. Au rayon boissons encore, du thé vert car c’est le seul endroit où il pousse en Europe et Cha Gorreana existe depuis 1884. Et, bien sûr, j’ai rapporté des conserves de filets de thon des Açores de Corretera, conserverie de São Miguel. Ceux-là étaient plongés dans un bon bain d’huile d’olive bio, du genre que l’on claque sur un morceau de pain grillé à l’heure où l’on ferme son ordi. Les plus gloutons iront jouer la rencontre entre le vin blanc minéral et le thon à l’apéro, et ils auraient raison. Terre et mer ont des choses à se dire. J’ai testé et approuvé à plusieurs reprises et je ne peux que vous encourager à reproduire ce petit miracle à la maison, d’autant qu’en fermant les yeux, vous verrez peut-être la silhouette capricieuse de São Miguel apparaître à l’horizon…

Illustration de Furze Chan

P.S : toutes ces spécialités proviennent de la géniale petite boutique “O Rei dos Queijos”, à Ponta Delgada (São Miguel). Contrairement à ce que le nom laisse présager, cette boutique vend de délicieux fromages mais aussi tout ce que les 9 îles des Açores produisent de meilleur.

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